Habiter un monde polaire réputé inhabitable ne pouvait que séduire le club-lecture de la librairie parisienne Borealia. Le samedi 20 janvier 2024, la glaciologue Daphné Buiron y présenta son livre Habiter l’Antarctique (Transboréal, 2023) devant un public passionné et averti. Titulaire d’un doctorat portant sur l’étude des paléoclimats dans les carottes de glace, Daphné réalisa en 2011 l’un de ses plus grands rêves : partir en Antarctique pour hiverner un an sur la base Dumont-d’Urville, au titre de chimiste-glaciologue.
La plupart des croisières en Antarctique se concentrent sur la faune et les paysages spectaculaires de l’Ouest du continent, dont la péninsule n’est qu’à deux jours de navigation au départ d’Ushuaïa (Argentine). Il suffit si l’on peut dire de traverser les mythiques Passage de Drake et Cinquantièmes hurlants…
Habitée en permanence depuis 1956, la base scientifique française Dumont-d’Urville se trouve elle à l’Est de l’Antarctique. Elle est bien plus difficile d’accès. Fin 2011, le brise-glace L’Astrolabe l’atteignit ainsi en douze jours au départ d’Hobart (Australie), au cours de l’une de ses cinq rotations estivales.
La côte de la terre Adélie se caractérise par ses températures relativement clémentes, comprises généralement entre -5°C et -30°C. Loin donc du record enregistré en 2007 à la base franco-italienne Concordia, située à 3 233 m d’altitude : -81,9°C ! Cela dit, il faut aussi tenir compte de la température ressentie quand les vents catabatiques soufflent en tempête. Leur vitesse fut une fois mesurée à 240 km/h !
La base Dumont-d’Urville se trouve sur l’île des Pétrels, à 5 km du continent. Sur de beaux rochers de granit sont posés, à côté de bâtiments récents, d’anciens préfabriqués orange et bleu qui rappellent que la base fut construite à partir de 1952 par les équipes de Paul-Emile Victor.
L’île déborde de vie pendant l’été austral. On y voit de nombreux oiseaux (fulmars, pétrels, labbes…), des orques, des phoques de Weddell et léopards des mers. Mention spéciale aux 15 000 couples de manchots Adélie dont le bruit et l’odeur du guano ne manquent pas de surprendre les nouveaux arrivants ! Autant d’espèces strictement protégées avec lesquelles il convient de limiter au maximum les interactions.
La banquise se forme vers le mois de mars et finit par enserrer l’île des Pétrels, facilitant les déplacements jusqu’au continent. Les oiseaux vus en été – manchots Adélie compris – sont depuis longtemps partis à la poursuite de l’eau libre quand s’installe près de la base, le temps de l’hiver, une colonie de 6 000 couples de manchots Empereur !
L’équipe d’hivernage comptait 28 personnes en 2012, dont quatre femmes, treize scientifiques, dix techniciens, un médecin, un cuisinier et un boulanger, tous appelés à vivre dans un isolement extrême pendant au moins huit mois. Le travail prend alors une autre dimension. Glaciologue, Daphné échantillonna, mesura, analysa à loisirs les bulles d’air enfermées dans la glace, précieuses archives du passé. Il est ainsi possible de se faire une idée du climat il y a un million d’années ! Elle compta aussi les phoques nouveau-nés, elle aida les ornithologues à attraper des manchots Adélie et bien sûr elle explora cette terre dont elle avait si longtemps rêvé.
Relativement proche du cercle polaire antarctique, l’île des Pétrels bénéficie toujours d’au moins deux à trois heures de clarté par jour, ce qui permit à Daphnée de prendre de fort belles photos au cœur de l’hiver, en partie reproduites dans le livre. Dans un tel contexte, la vie communautaire doit être bien réglée. On fête bien sûr les anniversaires de chacun. Et l’on prépare longtemps à l’avance la semaine de festivités du Midwinter, célébration dans toutes les bases de l’Antarctique du solstice d’été, autour du 21 juin, selon une tradition initiée par Scott et Shackleton. Ce fut l’occasion en 2012 d’une promenade aux flambeaux et d’une projection de film sur iceberg !
Il faut attendre novembre pour que la banquise se retire plus ou moins brusquement sous l’effet du vent, du courant et des marées. Et revoilà L’Astrolabe… Ce n’est pas sans mal que Daphné regagna l’Australie, le brise-glace restant coincé un mois dans la banquise ! Mais ce type d’épreuve n’est rien au regard de ce que son long séjour en Antarctique lui a apporté : « Nous sommes beaucoup à penser, quand on voit l’effet que l’Antarctique a sur nous, le fait qu’on y pense en revenant, qu’on ne l’oublie pas, qu’il apporte beaucoup de bonheur, qu’il y a peut-être quelque chose à chercher en développement humain. Valoriser ce qui se passe en Antarctique, comprendre pourquoi ce continent est si attractif… ». L’occasion peut-être pour Daphné d’y retourner à un autre titre ?
Croisière Iles Malouines, Géorgie du sud et péninsule antarctique
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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