Du visible à l’invisible, du mongol au français… Le thème du chamanisme mongol choisi par la librairie Boréalia fit toucher du doigt la multiplicité des mondes. Le soir du 9 février 2024, Munkhzul Renchin nous présenta sa traduction du roman La légende du chaman de Gün G. Ayurzana, parue en janvier aux Editions Jentayu. Une fiction plébiscitée en Mongolie pour son authenticité, dont on peut attendre qu’elle dissipe une part des fantasmes suscités par le chamanisme. Sans en épuiser le mystère…
Tengis, un jeune Mongol qui vient de vivre une douloureuse peine de cœur, apprend par un ami la soudaine réapparition du plus grand esprit de l’île d’Olkhon du lac Baïkal, en Sibérie voisine. Il décide alors de quitter la Mongolie et d’aller voir par lui-même.
Sur place, il fait la connaissance de Khagdai, vieux chaman bouriate qui semble lire dans la moindre de ses pensées, et de Regina, une Canadienne qui se rend régulièrement sur l’île, dans le but d’écrire un livre sur les chamans. Incertain quant à son avenir et troublé par la puissance spirituelle des lieux, Tengis accepte de devenir l’assistant du chaman et commence à pénétrer les secrets du monde des esprits…
La transe fait entrer le chaman mongol dans le monde invisible, qui s’avère aussi peuplé que le monde visible. Il y entre en contact avec les ongods, esprits éternels des ancêtres et des animaux. Issus du ciel, ils lui apportent la connaissance : « dès qu’il le souhaite, et avec son corps éthéré, il voyage aux confins des différents mondes et guérit les malades… apaise le feu… interprète ce que disent les animaux, les oiseaux… connaît parfaitement les coutumes de son peuple… et sert de lien entre ses ancêtres et le futur… » (p.78)
Il faut avant cela de 7 à 10 années d’études, car les esprits obligent tant dans le monde invisible – on peut y perdre la vie – que dans le monde visible : « Il était partagé entre deux voies : soit rester chaman et ne plus retourner à l’hôpital psychiatrique, soit cesser de chamaniser mais devenir fou sous la pression de l’ongod qui le réclamait. » (p.84) Il est légitime de s’interroger car la fonction relève du sacerdoce. Le vrai chaman est en effet au service de la communauté, qu’il soigne et conseille. Travaillant le plus souvent de façon prosaïque pour gagner sa vie, il officie sur son temps libre, demandant juste une participation. Offrir lait et vodka aide aussi à se concilier les esprits.
A son apogée au XVe siècle, l’empire mongol s’étendait sur une superficie inégalée dans l’Histoire de 24 à 33 millions de kilomètres carrés. C’est ainsi que l’île d’Olkhon en Sibérie devint un haut lieu du chamanisme mongol. « Sur la rive ouest du lac Baïkal, aux confins septentrionaux des terres mongoles, il est une île de toute beauté. Vus du ciel, les contours du lac dessinent une lune que l’on aurait étirée tel un arc puis posée à même la terre, et l’île apparaît dans l’allongement de cette lune, comme une tache en forme de lièvre. On dit de ce « lièvre sur la lune » qu’il est un chaman dans le cosmos et que, lorsqu’il entre en contact avec son ongod, les lièvres sur terre tombent aussitôt dans une frénésie amoureuse et se reproduisent en quantité. » (p.15)
Avec 71 km de longueur et 15 km de largeur, Olkhon est la plus grande île du Baïkal. C’est la demeure des esprits du lac près de l’endroit où il est le plus profond (1 620 m). Nous connaissons bien la région, maintes fois visitée par nos voyageurs et nous-même, avec toujours le souci d’un équilibre entre nature et culture. La légende du chaman est aussi une fresque historique de la Bouriatie, aujourd’hui république russe, riveraine du Baïkal.
Née à Oulan-Bator, Munkhzul Renchin partage sa vie entre la France et la Mongolie. Traductrice et interprète décorée en 2021 de l’Etoile Polaire, la plus haute distinction mongole, elle œuvre inlassablement à la diffusion de sa culture auprès du public francophone. On lui doit une dizaine de traductions en ce sens, dont des recueils de poésie et de nouvelles parus aux éditions Boréalia.
Munkhzul Renchin choisit les textes qu’elle traduit, ce qui n’est jamais une mince affaire. Pour La légende du chaman, elle rassembla beaucoup de documentation, s’entretint longuement avec l’auteur et travailla finalement trois ans sur ce roman ! Traduire en français des concepts issus du nomadisme fut un vrai défi, apparemment relevé avec brio.
Les intermèdes musicaux de cette belle soirée furent assurés par la pianiste Pauline Rebuffel. Ce premier récital de musiques de films en appelle beaucoup d’autres ! Un grand merci enfin à la cuisinière pour ses délicieuses spécialités.
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Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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