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Spitzberg, latitude 80° Nord

21 novembre 2023
  • Nord Espaces a testé pour vous…
  • Récits & Carnets de voyage

Par JM PUJO

Longyearbyen, juillet 2023. Me voici arrivé dans la capitale du Svalbard, que nous appelions autrefois Spitzberg (montagne pointue), un grand archipel arctique situé à quelque 600 km au nord de la pointe septentrionale de la Norvège et environ 500 km à l’est du Groenland. Son statut est original : propriété de la Norvège, il est ouvert, en vertu du Traité du Svalbard de 1920, à toutes les nations qui souhaitent en exploiter les ressources naturelles et en même temps interdit à toute activité militaire.

Les Russes ne se sont pas privés d’en profiter pour y ouvrir des mines de charbon. D’autres nations, comme la France, y ont installé des stations de recherche scientifique. Sa non-militarisation a connu quelques entorses, puisque durant la deuxième guerre mondiale les Allemands en ont, eux-aussi, exploité le charbon pour soutenir leur effort de guerre, et installé une station météo pour aider leurs opérations. Aujourd’hui, sa position stratégique, qui l’a fait surnommer « talon d’Achille de l’OTAN », permet d’y suspecter la présence d’activités moins innocentes que la science et la détérioration des relations internationales y a évidemment un écho : la zone sous influence russe est devenue interdite au tourisme.

Une usine au bord d'un fjord au Spitzberg. Photo de JM Pujo
Une usine au bord d’un fjord au Spitzberg. Photo de JM Pujo

C’est bien dommage, car on y trouvait avec la cité minière de Barentsberg, toujours active, et la ville fantôme de Pyramiden, dont la mine a fermé en 1998 et où il ne subsiste qu’un seul habitant, un intéressant conservatoire du monde soviétique, statues de Lénine y compris !

N’oublions pas deux originalités. La première, c’est qu’il est interdit de mourir au Spitzberg, en tout cas d’y être enterré, car le permafrost est trop dur pour qu’on puisse y creuser des tombes suffisamment profondes et que les corps enterrés ne se décomposent pas, favorisant la survie de bactéries dont on craint qu’elles ne ressurgissent en cas de dégel. On voit pourtant à Longyearbyen, les croix blanches de quelques tombes. Ce sont celles de victimes de la « grippe espagnole » de 1918 et de mineurs morts par accident avant 1950, derniers à avoir pu y être inhumés. La seconde, c’est l’interdiction absolue d’introduire des chats dans le territoire, afin de préserver les oiseaux qui ne s’en méfieraient point.

Un glacier se jetant dans un fjord au Spitzberg. Photo de JM Pujo
Un glacier se jetant dans un fjord au Spitzberg. Photo de JM Pujo

Que faire là-bas ? D’abord randonner, pour ressentir en contemplant de splendides paysages arctiques, l’impression de vraiment se trouver au bout du monde. On ne peut rester indifférent devant cet univers de montagnes arides où la roche apparait à nu, et de ces glaciers dont bon nombre descendent jusqu’à la mer. Soyons objectifs, victimes du réchauffement climatique, ils sont parfois un peu dégoulinants et on peut regretter qu’ils n’aient plus leur superbe passée.

On peut enfin y observer à loisir une faune abondante : rennes d’une espèce autochtone, renards arctiques, phoques et morses. Peu dérangés par les hommes et protégés, ces animaux se laissent, en effet, assez facilement approcher.

Le renne du Spitzberg est la plus petite des neuf sous-espèces de renne. Photo de nos voyageurs Annick et Gérard P., Nord Espaces

Il y a aussi d’innombrables oiseaux et occasionnellement des cétacés. Avec un peu de chance, vous pourrez apercevoir un ours blanc, le seigneur des lieux. La compagnie d’un guide armé d’un fusil est pour cela indispensable car la rencontre de cette grosse « peluche » est dangereuse. Un touriste l’a payée de sa vie il y a quelques années. Au mépris des consignes et de toute prudence, il avait décidé de bivouaquer dans la nature et le fauve affamé a dû prendre le duvet dans lequel il dormait pour un phoque appétissant. Il en est résulté l’obligation officielle d’emporter une arme, capable de le tuer ou au moins de le faire fuir, dès qu’on sort de la capitale et l’injonction corrélative de ne pas entrer avec, qui s’affiche sur les portes des bars et des magasins !

Un ours polaire sur la banquise au Spitzberg. Photo de nos voyageurs Annick et Gérard P., Nord Espaces
Un ours polaire sur la banquise au Spitzberg. Photo de nos voyageurs Annick et Gérard P., Nord Espaces

On dispose au Svalbard en été, de beaucoup de temps pour le faire : contrepartie de la nuit permanente qui règne en hiver, le jour n’y cesse jamais[1]. C’est le fameux « soleil de minuit » qui illuminera j’espère certaines de vos journées, car la vérité m’oblige à dire que le « temps spitzbergien » typique se caractérise plutôt par un plafond de nuages d’une stabilité à toute épreuve, sans pluie ni vent. De son côté, la température, qui se tient autour de 5°C, rend la « doudoune » incontournable. Rien de dramatique, bien sûr, quand on a compris qu’on n’était pas parti pour la côte d’Azur !

Pour contrer la « grande lessive » d’une mondialisation qui efface les cultures et originalités nationales, j’ai pris l’habitude de préparer mes voyages en m’intéressant de près à l’histoire des lieux que je vais visiter. Une fois sur place, je m’efforce d’en retrouver des vestiges et ressens beaucoup de plaisir lorsque j’y réussis.

Buste de Roald Amundsen à Ny Alesund. Photo Nord Espaces
Buste de Roald Amundsen à Ny-Ålesund. Photo Nord Espaces

Il s’agit cette fois d’aventure polaire et c’est à Ny-Ålesund, qui fut la base de départ incontournable des audacieux qui voulaient être le premier à atteindre le pôle Nord, que j’en ai recherché des traces.

Troisième ville du pays et ancienne cité charbonnière, on y voit encore les restes d’un petit chemin de fer préservé en souvenir du patrimoine minier de la région. Mais Ny-Ålesund est aujourd’hui un centre de recherches scientifiques important, dédié à l’étude des effets du réchauffement climatique. La France y entretient les bases de recherches Charles Robot et Jean Corbel.

On y trouve aussi un observatoire et un champ d’antennes paraboliques, tous deux inaccessibles au public.

La maison occupée par Roald Amundsen à Ny Alesund. Photo Nord Espaces
La maison de Roald Amundsen à Ny-Ålesund. Photo Nord Espaces

On peut voir en ville un buste et une « maison d’Amundsen », où l’explorateur norvégien a sûrement séjourné en 1925 lors de sa première expédition avortée en hydravion vers le pôle, puis en 1926, à l’occasion de sa deuxième tentative en dirigeable qui a réussi.

J’y éprouverai une vraie satisfaction au pied d’un imposant pylône dont l’entrecroisement métallique ne supporte pas, pour une fois, une antenne téléphonique.

Un cadre métallique, fixé à sa base, affiche un dirigeable et trois drapeaux, l’américain, le norvégien et l’italien, plantés au sommet du globe terrestre.

Le texte qui y est inscrit, explique leur présence :

AMUNDSEN – ELLSWORTH – NOBILE

Transpolar fligth 1926

Honoring a glorious achievement of human endeavor

To Roald Amundsen, Lincoln Ellsworth, Umberto Nobile and the crew of the airship NORGE N°1

who for the first time in history flew over the north pole from Europe to America opening the polar route[2].

Les dates et points de départ et d’arrivée de ce vol sont indiquées, avec l’identité du donateur : l’aviation militaire italienne.

Le "Norge" entre dans le hall des dirigeables à Ny-Ålesund. Photo Bibliothèque Nationale de Norvège, 1926
Le « Norge » entre dans le hall des dirigeables à Ny-Ålesund. Photo Bibliothèque Nationale de Norvège, 1926

Il ne me reste qu’à fermer les yeux pour savourer ma récompense, en revenant par la pensée au mois de mai 1926. Près de moi s’élèvent deux grands écrans couverts de toile noire, destinés à abriter un dirigeable du vent et ce mât d’amarrage érigé pour le cas où celui-ci, trop fort, empêcherait d’y faire entrer l’aéronef.

Ce géant, construit en Italie, a quitté Rome le 29 mars et fait successivement escale à Oslo et Vardö, avant de traverser la mer de Barents jusqu’à Ny-Ålesund où il est arrivé le 7 mai.

Gonflé de dix-neuf mille mètres cube d’hydrogène, il est long de cent six mètres, haut de vingt-cinq et large de vingt. Propulsé par trois moteurs de 250 CV, il peut atteindre plus de quatre-vingts kilomètres heure, mais est malheureusement très dépendant du vent. Son autonomie est de 5.200 kilomètres.

Roald Amundsen (1872 – 1928)

Son équipage est placé sous l’autorité de Roald Amundsen, chef d’expédition, qu’assistent Lincoln Ellsworth, qui l’a financée, et Umberto Nobile, commandant de bord. Il compte neuf Norvégiens, un Américain, six Italiens et un membre inattendu, Titina, la petite chienne de Nobile. Après embarquement de l’essence et des vivres que nécessite leur entreprise, tous s’affairent autour du dirigeable. On remarque aussi une petite foule de marins militaires, car la manœuvre au sol d’un tel aéronef exigeant une importante main d’œuvre impossible à recruter sur place, le gouvernement norvégien a envoyé sur place un navire de guerre pour les aider.

Reste à attendre un « créneau météo » favorable. Dans la soirée du 10 mai, les météorologues ayant annoncé de hautes pressions dans le bassin arctique, synonymes d’un temps calme dans la région, Amundsen décide l’appareillage. Mais à peine a-t-on commencé à manœuvrer que le vent se lève et oblige à le reporter.

Le dirigeable « Norge » au mât d’amarrage à Ny-Ålesund. Photo Bibliothèque Nationale de Norvège, 1926

Il faut attendre la matinée du 11 mai pour le voir enfin « mollir » et se confirmer que la journée sera radieuse. Il n’y a donc plus à hésiter et à 10 heures, pavillons des trois nations participantes battant à sa poupe, le NORGE s’élève au milieu des hurrahs. Une demi-heure plus tard, il a disparu à l’horizon.

Le dirigeable sort de la baie du Roi, survole l’ile des Danois et s’engage au-dessus de la grande banquise, droit vers le pôle. Le temps reste clair, la brise faible et seul le froid se fait plus vif à mesure qu’on avance. Légèrement déporté vers l’Est par le vent, le NORGE continue sa route le long du 10ème méridien.  A minuit il franchit le 89° de latitude nord et le moment tant attendu approche. Le ciel est légèrement brumeux, mais la visibilité reste bonne. Le 12 mai à 01h25 GMT, le lieutenant Rüser-Larsen, officier navigateur, annonce enfin l’arrivée au pôle. Le dirigeable y fait quelques orbites, tandis que, jetés par-dessus bord, des drapeaux norvégien, américain et italien vont se planter dans la glace.

Le brise-glace 50 Ans de Victoire au pôle Nord géographique. Photo Nord Espaces
Le brise-glace 50 Ans de Victoire au pôle Nord géographique. Photo Nord Espaces

Le NORGE continue ensuite son chemin avec pour objectif d’atteindre Nome en Alaska. Sa route ne sera pas sans encombre et près de cinquante-sept heures lui seront nécessaires pour y parvenir, pendant lesquelles il faudra lutter contre un froid mordant et une tempête de neige. Des glaçons crèveront l’enveloppe du ballon en plusieurs endroits et le givrage d’un moteur contraindra à l’arrêter. Tout contact radio sera perdu pendant quelques heures, soulevant l’inquiétude. L’expédition se termine à Teller, située à une centaine de kilomètres de Nome, le 14 mai à 7h30. Le dirigeable qui n’est plus en état de vol, y sera démonté et renvoyé en Italie.

Ce succès sera vite entaché par l’annonce que l’Américain Richard E. Byrd aurait atteint le pôle Nord en avion quelques jours avant eux, affirmation qui sera démentie plus tard. Amundsen et Nobile vont aussi se disputer le mérite de leur réussite. Pour prouver sa valeur, Nobile entreprendra en 1928 avec l’ITALIA, une nouvelle tentative dans laquelle il prévoyait de se poser au pôle. Il l’atteindra sans réussir à atterrir et le mauvais temps aura raison de son dirigeable pendant le voyage de retour. Une mobilisation internationale se portera au secours des survivants en détresse. Amundsen qui, oubliant toute rancune, s’y était joint, disparaîtra avec l’hydravion français Latham 47 à bord duquel il avait pris place à cette occasion.

L'hydravion Latham 47 No. 02 à Tromsø, le 18 juin 1928. Photo : Rognmosamlingen
L’hydravion Latham 47 No. 02 à Tromsø, le 18 juin 1928. Photo : Rognmosamlingen

Il est temps de rouvrir les yeux et de revenir sur terre, pour retrouver Longyearbyen et le 21ème siècle. Située dans une vallée au bord de l’Atvenfjord et dominée par des montagnes escarpées, la ville dont les immeubles sont construits sur pilotis pour éviter de faire fondre le permafrost, s’étale dans une vallée et déploie entre ses quartiers un réseau routier de quarante kilomètres. Son centre regroupe hôtels, restaurants, bars et boutiques et j’y ai trouvé deux petits musées intéressants qui ont aussi été de bonnes occasions de me mettre un moment au chaud !

Le premier est le Svalbard Museum, idéal pour conclure ou débuter son voyage. Il propose de découvrir l’histoire de la région, de ses activités et de la vie locale. Des tableaux explicatifs, très didactiques sans être ennuyeux, y traitent notamment de la fonte des glaces et une belle collection d’animaux empaillés permet de les observer à loisir de très près pour mieux se rendre compte de leur taille que lorsqu’on les aperçoit dans la nature. Il y a un bel ours blanc, qui pourra consoler ceux qui n’ont pas eu la chance de le rencontrer « en vrai ».

Vue de Longyearbyen. Photo Nord Espaces
Vue de Longyearbyen. Photo Nord Espaces

L’autre musée, auquel je me devais de sacrifier, est le North pole expédition muséum qui regorge de documents sur le sujet et projette à la demande des films d’époque sur l’aventure polaire. Il faut des heures pour en exploiter les ressources…et c’est prévu, car ses billets sont valables deux jours ! Sachez qu’il est d’usage d’enlever ses chaussures en entrant dans ces musées ou de mettre des surchaussures.

Longyearbyen abrite enfin une dernière curiosité : une « Réserve mondiale de graines » dont l’entrée se situe à l’ouest de la ville, au-dessus de la zone portuaire. Cogérée par un organisme de l’ONU, Crop Trust, et le gouvernement norvégien, son fonctionnement quotidien est assuré par la banque de gènes scandinave NordGen. On n’ouvre ce « coffre-fort », dont la température de -18° doit assurer sans limite de temps la conservation des graines, que trois fois par an, pour contrôle et introduction de semences. Celles-ci sont renouvelées tous les dix ans. Le premier retrait de graines de son histoire a eu lieu en 2015, pour reconstituer les réserves de la Syrie, anéanties par la guerre.

                                                                                                                                                             JM PUJO

[1] Attention à ne pas oublier de dormir, car la fatigue s’accumule vite sans qu’on en prenne conscience.

[2] Amundsen – Ellsworth – Nobile. Vol transpolaire de 1926. Pour honorer une glorieuse réussite humaine, celle de Roald Amundsen, Lincoln Ellsworth, Umberto Nobile et l’équipage du dirigeable N1 NORGE qui ont survolé le pôle Nord pour la première fois ouvrant ainsi la route polaire entre l’Europe et l’Amérique.

Navigation autour du Spitzberg, le rêve polaire du Duc d’Orléans

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Sébastien

Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.

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