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Petit déjeuner chez les Tchouktches

16 décembre 2016
  • Récits & Carnets de voyage

En ce matin de 2008, nous sommes réveillés très tôt par un bruit de vaisselle et des voix venant de l’extérieur de la iaranga (grande tente en peau de renne). Nous avions transpiré toute la nuit, alors qu’il faisait probablement moins 35°C au milieu de la toundra. Au 21ème siècle, personne n’a encore trouvé mieux que la graisse de phoque pour chauffer un polog (petite tente en peau de rennes montée à l’intérieur d’une grande tente iaranga ! La dernière, je m’extrais à quatre pattes du mien, maintenant à la température de la iaranga.

Cette journée de grand froid et soleil m’inspire la récitation en mon for intérieur du « Matin d’hiver » de Pouchkine, poème de 1829 :

La lune jaune a disparu,

Mais ce matin, regarde, quelle vue!

Sous les cieux bleus, un peu lavande,

Les magnifiques tapis s’étendent,

La neige luisante au soleil;

Mais même le Maître du genre ne donne qu’un pâle aperçu de la réalité. Aucune poésie, aucune photo, moins encore mes pauvres lignes ne rendent justice à la majesté de la Nature. Piètres raconteurs que nous sommes… L’air de la toundra me pique le nez avant d’inonder mes poumons, cause d’une douce ivresse après la chaleur étouffante de la nuit. Il fait tellement froid que des cristaux se forment dans l’air. Le ciel est haut et bleu, la lumière partout, la neige aveuglante. Un anneau solaire, sorte d’arc en ciel, forme un cercle parfait autour de l’astre du jour. Cette beauté divine est aussi dangereuse. Mes cheveux et mes cils, les poils de ma chapka se couvrent rapidement de givre. Combien de temps un homme peut-il survivre dehors sans abri ? Me perdre ? Que Dieu m’en garde…

Nous partageons le petit déjeuner des femmes, les hommes étant déjà partis s’occuper du troupeau.

J’avais déjà goûté à la viande de renne en Finlande. Mais cette fois tout est différent : pas d’assiette, de fourchette ou de morceaux finement coupés. Nous les prenons à la main dans un grand sceau métallique. La viande est goûteuse mais pas aussi tendre, car les Tchouktches abattent en priorité les rennes les plus faibles, souvent vieux. Le thé chaud et sucré est servi avec des « lepeshki », crêpes grasses et sucrées elles aussi. J’en mange deux, m’obligeant à ne pas en engloutir une troisième.

Nous discutons ensuite avec les hommes de retour. Chez les Tchouktches, c’est à l’invité (« raimkélién ») d’entamer la conversation, d’en choisir le moment et le thème. Selon les lois non écrites de la toundra, les voyageurs sont toujours nourris et logés ; on attend d’eux en échange des nouvelles, ponil.

Alors que dans le monde moderne, nous sommes submergés d’informations souvent malvenues, dans la toundra il n’y a pas de radio, journal, e-mail ou publicité postale. Et quand on reste des mois en complète autonomie car coupé de toute civilisation, on est curieux de tout. Le chef de notre expédition raconte d’abord notre voyage. Ensuite chacun dit un mot sur son pays. Les Tchouktches connaissent la géographie et situent plus ou moins nos pays sur la carte.

« Carla Bruni est-elle vraiment belle ? », me demande l’un d’entre eux. Nous rions aux éclats et je lui décris comme je peux la beauté de Carla, comme une mère dit un conte à ses enfants sages. « Tu parles bien russe », me dit le Tchouktche curieux des beautés occidentales.   Je lui explique : « Je suis d’origine russe mais j’habite depuis longtemps en France ». Il ponctue alors son regard étonné et teinté d’incompréhension d’un prudent « Ôgo ! ».

Une grand-mère (« appa » en tchouktche ou « babouchka » en russe) est assise avec nous. Elle fait de temps en temps de brefs commentaires, ancrés dans le passé et toujours de bon sens. Quand un bébé enfoui sous des peaux de renne au fond de la iaranga se réveille, c’est elle qui se lève.

Nous qui bâtissons le monde numérique de demain, nous n’écoutons plus nos vieux et travaillons pour payer les nounous qui gardent nos enfants…

Le même sort attend-il les Tchouktches ?

Par Julia Rugens / Souvenirs de mon voyage d’exploration et de repérage en Tchoukotka, Russie (ou Chukotka en anglais) SUITE

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Julia Snegur

Julia, diplômée en sociologie et en géopolitique, grande voyageuse, notre chère collègue et responsable de la communication

A propos de l'auteur

Julia Snegur

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