Ce voyage en Transsibérien est pour ceux qui cherchent de l’authentique, de la liberté et de vivre quelque chose d’exceptionnel.
Vous avez parfois une certaine réticence de vous aventurer seul(e)s dans les contrés sauvages de Sibérie. Osez, c’est possible de voyager seul(e)s, avec notre appuie logistiques, nos conseils précieux, notre solide expérience et nos partenaires fiables en Russie. En hiver comme en été, nos voyageurs et voyageuses âgé(e)s parfois de plus de 80 ans vivent cette expérience singulière.
Cette traversée de l’Eurasie dans le mythique Transsibérien vous surprendra par l’étonnant contraste entre Moscou et la province russe. Vous admirerez ainsi des sites magiques à l’écart des grandes routes touristiques. Individuel ou à la carte, ce voyage unique vous offrira beaucoup d’émotions, de surprises et de rencontres, ne serait-ce que près du samovar à l’extrémité de chaque wagon-lit ! Parce que vous ne referez pas le voyage d’un autre, ces souvenirs n’appartiendront qu’à vous, cette expérience sera à jamais mémorable.
Si vous avez la disponibilité l’arrêt à Tomsk est très conseillé. De même la région du lac Baïkal mérite de rester quelques jours de plus. Dommage que le visa russe touristique ne peut pas dépasser 30 jours.
Nous vous proposons ici une lecture du carnet du voyage (extraits) de la personne passionnée par la Russie et son histoire (voyage hivernal en Transsibérien, 2ème et 3ème classe, février 2015 avec Nord Espaces)
EN TRANSSIBÉRIEN DE SAINT-PETERSBOURG A IRKOUTSK
Escales et rencontres
A Luc Domenget
Tous les voyages ont la même histoire, celle d’une errance et d’un retour, qui peut être aussi un retour sur soi. L’Odyssée ramène Ulysse vers Ithaque, la Bible fait retourner Moïse sur la terre promise, transformés par ce qu’ils ont rencontré ou vécu. Le Transsibérien, lui ne m’a emmené ni ramené d’aucune destination mythique. Le voyageur s’y raconte à lui-même et fait ensuite partager à son lecteur, s’il en a un, les histoires qu’il a rêvées dans son enfance et qui ont forgé son imaginaire, sa géographie intérieure. Ce train célèbre est un concentré d’espace et de temps et constitue un incomparable guide pour découvrir le pays ! Tout s’y noue dès les premiers regards, à travers ses vitres floues comme l’est notre compréhension du monde dans lequel il va nous transporter, un univers souvent gris et sinistre, mais également annonciateur de l’imminence de notre rencontre avec la beauté et la force de l’âme russe…..
A l’évidence, c’est le parcours initiatique du Transsibérien qui m’a fait prendre réellement conscience de la complexité de la Russie et de ses contrastes : distances démesurées, mosaïque ethnique, cultures et traditions innombrables, histoire tourmentée. Et pour entrer vraiment dans le mystère, il faut faire le voyage en hiver. C’est alors que le pays « triche » le moins et le voyage devient plus authentique…
Il commence à Saint-Pétersbourg, la cité idéale qu’avait voulue Pierre le Grand. L’hiver, la vie de cette ville-mirage dressée au bord de la Neva gelée, m’a surpris par sa précarité. A cette période, elle s’enveloppe souvent d’une brume épaisse, se coiffe d’un ciel bas et gris, qui pèse littéralement sur les épaules. Le soleil y est rare et son moindre rayon jalousement capté par les bulbes dorés des églises et des cathédrales. D’où est venue la folie de vouloir bâtir une ville nouvelle ici ? Le Tsar avait-il soif de puissance ou soif d’Europe ? Probablement des deux.
Je relis en marchant des pages de Dostoïevski qui s’y rapportent et mesure le contraste entre la splendeur froide des palais pastel et la misère de certains habitants, que ne dissimule plus la foule des touristes qui envahit la ville en été. J’observe aussi avec intérêt les femmes que je rencontre : les plus jeunes ressemblent à celles d’occident avec leurs « doudounes » et leurs basket, les trentenaires sont plus élégantes, plus arrogantes aussi ; elles bravent avec leurs hauts talons neige et verglas qui recouvrent les rues; les plus âgées enfin ont l’air de se résigner, sans que je devine à quoi.
Je m’arrête devant le Grand Café «СЧАСТЬЕ », le bonheur, en français. On y sert plein de gourmandises dans une ambiance particulière, bien éloignée du folklore russe traditionnel. Je regrette d’y être seul et pour tuer le temps, relie avec mon stylo les 500 points d’une énigme qu’a apportée le serveur avec ma commande. Elle fera apparaître un ange et je ne saurai pas répondre à question posée au bas de la page : qu’est-ce que le bonheur ? Au final, je mettrai ce dessin dans ma poche en continuant de m’interroger sur ce sujet décalé et peu occidental.
Je continue ma balade en entrant dans une église. Elle est pleine de monde et ne semble pas être un refuge hivernal pour ceux qui sont dedans : femmes, hommes et enfants. La Foi semble de retour en Russie après avoir été bafouée par des années de communisme. Je rends ensuite visite au Musée Russe, en quête de la salle consacrée aux œuvres d’AÏvazovsky. Seuls les initiés connaissent ce peintre dont l’art fait vivre la mer. Les toiles que j’ai devant mes yeux me fascinent et j’y resterai une heure pendant laquelle mon âme va prendre de la hauteur, puis aller s’abîmer dans les vagues.
A 19 heures, je suis au théâtre Mikhaïlovski, rénové il y a quelques années grâce à un mécénat russe. Je m’installe dans son ambiance feutrée et me souviens des mots de Pouchkine, qui a si bien décrit ce moment :
La foule attend ; les loges brillent ;
Fauteuils, parterre, tout reluit ;
Le poulailler, pressé, frétille,
Et, s’élevant, le rideau bruit.
Après le spectacle et encore dans l’état second où m’a conduit sa beauté, je fuis la nuit et le froid dans un restaurant dont l’ambiance est chaleureuse. Au seul motif que je suis un français qui n’a pas eu « peur » de se rendre en Russie au moment où « fait rage » la guerre avec l’Ukraine, la table voisine de la mienne tient à m’offrir un verre de vodka ! Est-ce à cause de l’absence de touristes en période hivernale ou de l’incompréhension par les Russes de leur rejet actuel par l’Occident ?
Plus tard, je m’en irai, ventre plein et tête lourde. La porte claque derrière moi et je respire à nouveau un air glacé : ce doit être ce qu’on appelle prendre l’air du pays…
***
Saint-Pétersbourg, Petrograd, Leningrad, puis Saint-Pétersbourg à nouveau …
Dans le TGV russe qui m’amène à Moscou, je pense à Viktor Vekselberg, ce milliardaire, président de la Fondation russe « Liaison des temps » qui a racheté aux héritiers d’un magnat américain, une collection d’œufs du célèbre joaillier Pierre-Karl Fabergé, qui travaillait à Saint-Pétersbourg pour la cour impériale. Un Musée lui est consacré depuis 2013 dans un palais du Comte Chouvalov. Mes souvenirs de lecture affluent et me ramènent à « l’homme de la forêt », ce pécheur russe qui connaissait les forêts de Carélie (région russe au Nord de Saint-Pétersbourg voisine avec la Finlande) comme sa poche et y déterrait des armes datant de Pierre le Grand, qu’il vendait ensuite à prix d’or. Je me souviens aussi de ce français d’origine russe, âgé de 87 ans, qui a choisi de léguer à des Fondations moscovites les lithographies et tableaux russes inestimables qu’il avait réunis pendant toute sa vie d’émigré en France. Et par association d’idées, voilà que surgit une vieille dame, fille d’un parfumeur russe qui travaillait avec Ernest Beaux (le créateur du CHANEL N5). Elle m’avait confié avoir décidé un jour, d’amener ses 11 petits-enfants en voyage en Russie « pour qu’ils connaissent leur Patrie ». Et me reviendra à l’esprit pour finir, le tragique destin du dernier Tsar, Nicolas II et le récent rapatriement de sa dépouille et de celles de sa la famille, d’Ekaterinbourg à Saint-Pétersbourg. Cela rend évident que la Russie est en route pour se réconcilier avec son histoire. La voilà qui puise à nouveau dans son passé, déterre les fondations de la vieille maison effondrée, devient comme une mer qui appelle à la rejoindre ou aspire, toutes les rivières et tous les ruisseaux alentour.
Je me sens dans ce train pratiquement comme en France : rien de spécial à signaler, sauf que le voyage entre St. Pétersbourg et Moscou ne prend plus 7 jours à cheval comme à l’époque d’Alexandre Radischev, mais 3 heures et demie à peine. J’y arriverai dans la nuit et m’endormirai tranquillement à l’hôtel.
Moscou
Moscou. Je prends ce matin le métro en direction de la Place Rouge. Je m’y noie dans une marée humaine et je suis seul à tourner la tête dans tous les sens pour trouver mon chemin. Les russes y sont chez eux et suivent naturellement leurs flux habituels. Les wagons du métro de Moscou ne sont pas décorés de photos de Versailles comme ceux du RER C à Paris, mais ils leur ressemblent. Les stations sont vastes, bien éclairées et souvent magnifiquement décorées. Staline y a bien réussi à en faire le « Palais du peuple ». On me regarde à peine et cela prouve que les moscovites ont désormais l’habitude de voir des touristes étrangers, y compris dans le métro à l’heure de pointe. Je me perds dans ses couloirs et finis par me faire guider par deux policiers vers la sortie qui débouche devant le Kremlin. J’en connais tant de choses d’avance qu’il ne peut être une surprise : il est certes très beau mais aujourd’hui et malgré Bécaud, la place rouge n’est pas blanche : pas de neige sur le sol, ni d’ailleurs de Nathalie. Seul y est présent un froid plus que vivifiant. Mon regard s’attarde sur un couple qui sort du GUM, la célèbre galerie commerçante, en savourant des glaces. Comment ont-ils pu en avoir envie par ce temps ? Mystère, et soudain voilà que moi aussi, j’ai envie d’une glace…
Je me rends à pied jusqu’à la cathédrale du Christ-Sauveur. Immense et imposante, c’est une réplique à l’identique, de celle qu’avait rasée la révolution. L’intérieur tout de granit, d’or et d’argent, foisonne de matières précieuses. On y entre en passant un portique de sécurité et s’y sent comme dans un Mausolée. Les Russes avaient sans doute besoin de la ressusciter dans sa solennité pour faire leur deuil des temps maudits. Rien à voir là, avec cette petite église en reconstruction dans un autre quartier de la capitale, avec ses fresques encore visibles mais défraichies par le temps et les … légumes, car les soviétiques en avaient fait un hangar pour les stocker.
Sentimental, je prends la direction du Café Pouchkine, un lieu accueillant, douillet et très chic. On y trouve associés Salon de thé, Pharmacie, Librairie et espace gastronomique. Ce dernier est un riche mélange franco-russe de produits gourmands. Sur le conseil d’une voisine, j’y choisis un Medovick, dessert typique composé d’un biscuit parfumé au miel de sarrasin, de confiture de lait (Sgouschonka) et de crème fraîche très parfumée (Smetana). Au final, il offre des saveurs uniques et j’en apprécie particulièrement le mélange de la fine aigreur de la Smetana et du gout puissant du miel de sarrasin. En fait, il n’y a jamais eu auparavant à Moscou de Café Pouchkine. Né grâce à Gilbert Bécaud, ce temple du raffinement à l’ancienne, évocateur de l’époque de l’Alliance franco-russe, a été installé à notre époque dans un ancien hôtel particulier.
La rue Tverskaya me conduit jusqu’au théâtre Bolchoï, symbole affirmé de la culture russe et soviétique. C’est un lieu de pèlerinage pour les grands amateurs de musique et de danse, un temple où s’expriment la beauté, la poésie du corps, l’excellence…Mais une ancienne danseuse, m’en a aussi raconté l’ambiance, faite de concurrence sans pitié afin de parvenir à s’y faire voir et remarquer. C’est une école de vie où se déroule une féroce guerre des nerfs et où la force morale prévaut sur la force physique. Le ballet auquel je vais assister n’en laisse rien voir, c’est un moment de grâce empli de créatures angéliques qu’on ne peut imaginer que douces et tendres. J’irai compléter ma découverte par une visite « privée » dans les coulisses. Interdit d’y faire le moindre bruit car des gens y travaillent. Je me transforme en petit rat silencieux pour en parcourir les loges, les scènes, les studios, les salles d’entrainement, les salles de concert, en terminant par un atelier où l’on est en train d’habiller les cygnes : il est émouvant, de pouvoir en effleurer la beauté.
Moscou va me laisser un souvenir puissant. Cette ville dégage à l’évidence de la force et de la fierté.
Dans le Transsibérien
Je me dépêche sur les quais de la gare, courant vers le célèbre Transsibérien dans lequel je dois embarquer, vers l’Oural tout d’abord. Me voilà bientôt dans le train de nuit, seul dans un compartiment de 4 couchettes. Semblables aux poules dans un poulailler, 4 oreillers entourés de 4 matelas sont rangés horizontalement deux par deux sur les couchettes supérieures d’où ils pointent leur nez vers l’extérieur. Je déroule le mien et ce déballage produit un nuage de particules de coton, qui se mettent à valser dans la lumière trouble. Il est 22 heures, il fait nuit dehors et il fait nuit dedans. Je n’ai plus qu’à fermer la porte coulissante de mon antre, gagner ma couchette superposée et éteindre la lumière. Le train s’éloigne peu à peu de Moscou et la lueur des gares de sa banlieue faiblit. Les brèves lumières des stations périphériques qui m’arrachent du noir profond deviennent de plus en plus rares… Bercé par le mouvement du wagon, je m’endors paisiblement.
Une intrusion soudaine me réveille en sursaut. Le train est à l’arrêt et deux adultes et un enfant s’installent dans le compartiment. La petite fille, endormie dans les bras de son père n’ouvrira pas les yeux et je ferai de même car je ne suis pas prêt à affronter mon voisinage. Tout va se calmer très vite et nous ronflerons tous bientôt, à l’unisson.
Quand je me réveille, au petit matin, mes voisins sont déjà en train de déjeuner. Je réfléchis à la façon dont je dois m’y prendre pour descendre de mon perchoir, sans mettre mes pieds devant le visage de la femme qui est assise sur la couchette placée juste en-dessous de moi. Et je finis par me décider à descendre en considérant que mon éventuelle maladresse sera attribuée à ma qualité d’étranger, peu au fait des manières locales. Je n’ai pas hier soir, déballé mes affaires de toilette, qui se trouvent sous la couchette de la dame. Je fais un bonjour général de la tête et on me répond. Puis je me place debout devant la femme dont le regard devient interrogatif. Je lui montre la couchette et elle comprendra que je veux accéder à mes affaires. Légèrement irritée elle me déclare « Tak bi i skazali » (il suffit de demander), sans égard pour ma perplexité. Je la remercie d’un timide « spas – si – baa » et la voilà qui me fait un magnifique sourire en s’écriant « Tak vi inostranets ! » (Vous êtes étranger donc !) ce qui lui explique tout.
Après une nuit de train, sans que nous ayons pu faire toilette, nous avons le visage gonflé, la barbe hérissée, le cheveu en bataille. Mais la glace est maintenant brisée, j’apprends les prénoms de tout le monde, goûte à « leur pain » et la petite se retrouve sur mes genoux pour jouer. On dessine aussi et on parle. J’enrichirai mon vocabulaire du mot « davaï » et elle ajoutera au sien le mot « gentil » qu’elle répète à la perfection. Le temps s’écoule et à la nuit tombée, mes voisins commencent à préparer leurs affaires. En l’espace de 5 minutes, ils vont partir, me faisant du dehors leurs signes de la main pour marquer nos adieux.
Me voici à nouveau seul dans le compartiment où je ressens un certain vide après ces récents échanges. Je pense tout à coup que j’aurais dû leur demander leur adresse pour pouvoir leur envoyer des photos de la petite. Mais tout est allé très vite dans cet échange où nous avons donné et reçu sans compter… J’ai croqué dans la pomme qu’ils m’avaient laissée, elle était à la fois sucrée et acide, tout comme l’humeur m’habitait.
La nuit venait sans arrivée de passagers supplémentaires et la faiblesse de l’éclairage excluait toute idée de lecture. Ma tablette déchargée ne pouvait pas me fournir de musique non plus. Impossible de dormir aussi, dans ce moment de solitude qui m’a bizarrement plongé dans une profonde réflexion sur la vie, rythmée par les bruits sourde du train. Peut-être faut-il être ailleurs, privé de ses repères habituels, pour cette introspection…
La vie à bord du Transsibérien
Ce matin je suis allé comme tout le monde jusqu’au bout du wagon pour attendre mon tour d‘utiliser les commodités rudimentaires qui s’y trouvent et me laver les dents. C’était bizarre de me trouver au saut du lit au milieu d’étrangers, sans avoir eu le temps de m’apprêter un peu, ni d’enfiler au sens propre comme au sens figuré, la carapace dont je me recouvre avant de claquer la porte de mon appartement parisien. Il faut dire que les moments d’intimité sont rares dans ce train et que ce fut une chance que d’avoir pu y passer la nuit seul dans mon compartiment.
Contraste, il fait très chaud dans le wagon pourtant en train de filer à travers des champs enneigés. Je porte un pantalon et une chemise, alors que les autres voyageurs sont en short, tongs ou maillots. Je ne me vois pas les imiter, même si je disposais de ce type de vêtements dans ma valise. Pourtant je dois admettre qu’ils sont à l’aise au lieu de transpirer comme moi. Nos éducations ont manifestement été différentes.
J’ai observé les gens, pour savoir comment faire et puis me suis servi un thé en utilisant le samovar immense planté en face de la cabine des hôtesses. Les gens que j’y ai croisés n’étaient ni désagréables, ni agressifs mais pas non plus avenants, serviables ou courtois. Je me rends compte du côté « nature » des Russes, parfois brutal mais toujours sans hypocrisie, y compris en politique. Il faut réussir à vraiment « briser la glace » pour bénéficier de passionnants échanges.
Une amie russe m’avait expliqué que, « sans casser mon image rêvée de l’ambiance du Transsibérien », il me fallait savoir que l’immédiateté de la prise de contact, telle qu’elle existait au temps de l’union soviétique, a maintenant disparu et qu’il faut désormais prendre son temps. Pourquoi ? D’abord parce que les russes ont subi un douloureux relâchement de leurs liens sociaux et connu la misère; cela les a mis en mode défense et rendus méfiants. Ensuite parce que le fossé croissant entre pauvres et riches, a fait apparaître un nouveau mode de communication ; on entre beaucoup moins en relation de façon spontanée. Comparé à la liberté de l’enfant, l’expression des adultes s’est considérablement réduite du fait de nouvelles contraintes sociales, dont la peur d’être mal jugé fait partie. Particulièrement vis-à-vis des étrangers, « bienvenus, après la chute de l’URSS, et dont on pensait qu’ils allaient apporter de bonnes choses et indiquer la bonne route à emprunter ». Cela n’a pas été le cas, peut-être aussi à cause de nos démons. Je me suis souvenu à ce sujet du mépris avec lequel un pilote russe d’hélicoptère regardait ses passagers, des touristes étrangers, quelques jours après la célébration de la fête de la Victoire de la 2ème Guerre Mondiale à Moscou, qui avait été désertée, pour cause d’Ukraine ou de Crimée, par tous les dirigeants occidentaux.
Moralité : pour vous faire des copains dans le train, il faut impérativement aller vers l’autre et à toute occasion. Parmi les bons plans : aller demander du sel / du sucre dans le compartiment voisin, chercher un décapsuleur (et là, on va vous apprendre à ouvrir les bouteilles sans décapsuleur), présenter une carte géographique et demander où l’on est, s’enquérir de l’heure et si vous voulez que ça dure, préciser à Moscou, à Paris, à Vladivostok ce qui vous amènera à compter les fuseaux ensemble, donner du chocolat aux enfants. En fait, allez-vous présenter, même les mains vides et on vous fera une place. Les hommes en bande particulièrement bavards, une famille avec enfant que l’on peut facilement amuser, une femme seule qui aimera qu’on lui fasse la cour, peuvent être « la clé ». Il y a beaucoup de femmes seules en Russie ou, comme on dit, « mal accompagnées ». Plus que les françaises, elles ont toutes un trait en commun : une curiosité sans fin. Les plus jeunes des Russes, surtout celles qui prennent le train, n’ont pas encore eu la chance de faire des voyages à l’étranger et adorent utiliser leur anglais, l’allemand ou, plus rarement, leur français. Celles qui sont plus âgées sont de très bonnes mères et grand mères et elles adoreront que vous leur montriez vos photos de famille. Le plus difficile à « apprivoiser » sera un homme seul ou un couple âgé de moins de 40-45 ans (si vous êtes un homme, surtout du même âge, donc un rival potentiel).
Je pars me chercher une bouteille de bière au wagon restaurant. Il est vide. Une blonde, jolie mais aux traits tirés, se tient au comptoir et s’ennuie. Étrangement elle me fait penser à son homologue dans une station-service du Texas ou de quelque autre Far West, telle que nous la montrent les films. Les bouts du monde se ressemblent…
Je m’installe quand même, en me disant que je ne l’aurais jamais fait chez moi où je fuis toujours les restaurants vides. Mais comme tout ici est à l’envers… j’aurai ici droit à un grand sourire, un essai laborieux de m’expliquer ce qu’offre la carte, pour finir par une commande-surprise. Mon hôtesse ira jusqu’à diffuser pour moi une chanson de Joe Dassin en musique et je la ferai rire en mimant de la danser : instant de complicité fugitive, car tout à coup la porte s’ouvre et tue notre idylle par l’arrivée d’un homme déjà bien imbibé. Elle fait la moue, me regarde avec un air terriblement désolée et va s’occuper de lui. Je sens qu’elle est gênée par ce client qui renforce « à ses yeux et aux miens » l’image que beaucoup de gens ont des russes. Vous savez ? vodka, baboushka, pirogi, belles femmes, froid intense, mafias, espions, dictature, corruption, guerre et tutti quanti.
Je reviens à regret dans mon compartiment où je découvre un nouveau voisin. C’est un homme plus très jeune, qui tient une bouteille de bière et est en train de décortiquer un poisson sec…qui sent fort. La tâche est rude et cela m’incite à sortir de mon sac un saucisson sec déjà tranché. Après m’être présenté (ça j’ai maintenant appris qu’il faut le faire) je le pose sur la table devant lui. Il me jette un regard énigmatique puis me tend la main en disant « Mikhaïl ». Il sortira ensuite de son sac une deuxième bouteille de bière et la posera devant moi sans un seul mot. On boira et mangera alors tous les deux pendant au moins 10 minutes, sans dire un mot, puis nous entamerons une conversation passionnante de sourd et de muet. On a quand même eu quelques échanges avant qu’il ne quitte le train en me serrant la main de la même manière qu’au début, mais deux fois plus fort. Me voici de nouveau seul et je laisse ma porte ouverte. Il est encore tôt et j’essaye de lire. Déphasé par le changement horaire, je dors, je ne mange plus qu’à l’appel de mon estomac. C’est la même chose pour le sommeil dans lequel je finis par m’enfoncer de façon instinctive…
Soudain, je me sens secoué violemment dans la nuit : c’est l’hôtesse du wagon munie d’une lampe de poche qui me réveille en «hurlant» : « Ekaterinbourg, bistro, bistro ». Je réalise que j’ai failli rater mon arrêt, attrape mon sac, fais du regard un tour rapide des lieux je n’ai rien oublié et quitte le compartiment. L’hôtesse a trouvé le temps de prendre sur ma table un petit bout de papier qui s’y trouvait et de me le mettre dans les mains. En deux secondes je suis dehors et dans la neige jusqu’aux mollets, le train est reparti. J’arrive à mon hôtel complétement déphasé, vide mes poches, vérifie et range mes documents, retrouve le petit bout de papier. Il y est écrit en russe « Prikhodite oujinat, budem tantsevat’ » et intrigué, consulte au milieu de la nuit mon dictionnaire : cela veut dire : « Venez dîner, on va danser ». J’éprouve aussitôt le malaise d’avoir manqué quelque chose, perdu à jamais et malgré ma rationalité d’occidental qui me dit qu’on idéalise toujours ce qui n’est pas possible ou ce qui aurait pu être et ne l’a pas été, j’éprouve un peu de chagrin d’avoir laissé cette invitation sans réponse, d’avoir involontairement ignoré cette inconnue qui m’avait remarqué. Belle évidemment, comme dans les rêves !
Ekaterinbourg, l’étape du Transsibérien
Je voulais voir à Ekaterinbourg, l’ancienne Sverdlov, la Ganina Yama qui se trouve à 17 km de la ville. C’est la mine où les restes de la famille Romanov ont été découverts. Je commence en ville par visiter un mausolée de plus : une cathédrale de granite flambé toute neuve. Une fois entré je frissonne en y découvrant l’emplacement de ce qui était autrefois la cave de la maison Ipatiev où l’on a fusillé le Tsar, la Tsarine et leurs enfants. Il semble que la fusillade ait duré de longues minutes et que les tueurs ont eu du mal à achever les femmes : les balles dérapaient sur elles, à cause des pierres précieuses qu’elles avaient cachées dans leurs corsets. J’allume 7 bougies à leur intention et je sors. Il fait toujours très froid et mon bonnet de ski ne me protège plus. Quand on a froid à ce point, on se moque du ridicule. Au premier étal rencontré sur le marché, je m’achète une chapka en fourrure. N’étant pas connaisseur, je choisis la moins chère faite de mauvais lapin, loup, voire chien ou chat, allez savoir ! Je mets des semelles en laine dans mes bottes et hésite quand même à acquérir des « valenki », les bottes de feutre. Magnifique comme peut l’être un français équipé à la russe, j’ai une pensée émue pour les soldats de l’armée napoléonienne qui ont connu cette épreuve.
En route maintenant pour Ganina Yama. On arrive dans une forêt où entre les sapins et les bouleaux je distingue 7 chapelles en bois, qui ont été bâties ici parce que toute la famille de Nicolas II (Maria, Tatiana, Anastasia, Olga, Alekseï, Nicolas et Alexandra) a été canonisée par l’Eglise orthodoxe. Lorsqu’on m’indique le nombre des pèlerins qui viennent ici en été, je me félicite d’avoir choisi de venir en hiver. A l’entrée du sanctuaire, on demande aux femmes de se mettre en jupe et j’en vois avec amusement deux, qui enfilent les jupes de « taille unique» mises à leur disposition, par-dessus leurs combinaisons de ski. Les femmes doivent aussi se couvrir la tête.
Aux alentours du lieu du drame, la forêt est ravissante : ensoleillée, pleine d’écureuils, faite de bouleaux et sapins dont l’ombre se détache sur la neige très blanche que l’on ne trouve que loin des villes. Les popes orthodoxes en soutane noire que je croise me rappellent bien vite le sens premier de ce lieu. Les bulbes de ses 7 chapelles brillent au soleil et j’ai voulu entrer dans chacune d’elles. Dans celle de Tatiana, un cantique chanté a capella m’a ému jusqu’au plus profond de moi-même : curieuse réaction pour quelqu’un qui n’est ni orthodoxe, ni catholique, ni protestant, ni musulman, sans être parfaitement athée non plus, me semble t- il…
Voyage en Transsibérien
Aujourd’hui, je quitte l’Oural dans ce train qui m’amène de plus en plus vers l’est. Je viens de me rendre compte que j’ai oublié de me munir de roubles et ce n’est pas dans le Transsibérien que je trouverai un distributeur de billets. A Novossibirsk, il y a 40 minutes d’arrêt ; j’ai galopé vers une banque pour y faire du change, avec la peur intense de me mettre en retard. J’ai dans ma poche le « vocabulaire » de survie que m’a donné ma conseillère de voyage. On y trouve des phrases qui pourraient m’être fort utiles : « Ia opazdal na poezd » (J’ai manqué mon train) et « Ia ne shpion » (Je ne suis pas un espion), car elle a de l’humour, de tonalité bien russe d’ailleurs.
Je suis revenu en nage ; devant le train, les autres fumaient tranquillement leurs cigarettes. Je suis monté, tandis que l’hôtesse faisait une tâche inutile : passer la serpillière sur le plancher du wagon où les gens arrivaient avec des bottes pleines de neige fondante. Elle grognait un bon coup après chaque passage de voyageur, puis recommençait jusqu’à ce que lassée, elle finisse par abandonner. J’observe sur le quai un couple de trentenaires : lui a le visage marbré et seul un mouvement de ses molaires traduit son émotion ; elle, par contre, est en larmes. Etonné par la scène je me suis imaginé que l’un d’eux prenait le train. Pas du tout ! C’était la mère de la jeune femme qui partait : installée juste à côté de moi elle lui faisait des signes à travers la vitre. Les 2 femmes semblaient se comprendre à travers leurs regards, comme seule une mère et sa fille peuvent le faire. Quand pourraient-elles se revoir ? Mon étonnement s’est encore accru quand l’hôtesse de train a touché l’épaule de cette femme inconnue en signe d’encouragement, car les mères savent aussi se comprendre entre elles. En France, on ne s’autorise pas de telles intrusions, on garde toujours ses distances. Dans les années 70, un livre d’Hedrick Smith avait décrit cette habitude des soviétiques de pleurer sur les quais des gares. Cela n’a pas changé aujourd’hui, peut-être à cause de l’immensité du pays. La perception des occidentaux qui changent aisément de pays en 2 ou 3 heures, n’est pas adaptée pour comprendre la géographie d’un Etat qui s’étale sur onze fuseaux horaires…, avait-il noté.
Comme partout dans les gares russes, des vendeurs s’agitent sur le quai. Ils sont moins nombreux en hiver mais je me dis que leur acheter des « pirojki » (pâtisseries russes fourrées des champignons, des œufs, du fromage etc.) par moins 20° est moins risqué pour mes intestins que de le faire l’été par +30°. J’en fais donc l’emplette complétée par un poisson fumé. Je suis aussi très tenté par une chapka de femme en magnifique renard argenté que me font admirer deux hommes qui sont près de moi. Ils ont réquisitionné une hôtesse pour en faire un mannequin et lui font essayer toutes les chapkas proposées. Le choix est difficile, la voilà espiègle en renard roux, clairement sensuelle en lapin blanc et femme fatale en renard noir. Ce serait peut-être une bonne chose que d’acheter toutes ces chapkas et de les offrir à une seule femme, qui m’apaiserait pour le reste de ma vie.
Pressés par le signal du départ qui vient de retentir, les deux compères ont fini par choisir leurs chapkas. Dans la fenêtre du compartiment, le tableau animé s’est remis en route. Je le verrai vibrer, sautiller, s’arrêter, repartir, s’éteindre pour mieux renaître le lendemain. Il va devenir ma référence, mon insaisissable et inséparable compagnon de voyage. Ce pourrait être un « Mondrian »: avec ses verticalités monochromes d’épicéas et de bouleaux sur fond de neige immaculée, l’horizontalité des voies ferrées, lignes électriques et fils téléphoniques, avec de temps en temps et de manière imprévisible, de petites taches jaunes, vertes ou bleues, fugace apparition de villages sibériens. Puis, comme chaque soir le tableau se cache derrière un épais rideau noir et c’est le train lui-même qui devient spectacle.
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Parmi les autres rencontres que j’ai faites dans le Transsibérien, je chéris celle d’une jeune femme qui y est devenue temporairement mon professeur de russe. Elle voyageait avec son frère et j’ai trouvé cela beau. Connaissez-vous de nos jours beaucoup de jeunes adultes qui décident de voyager avec leur frère ou leur soeur ? Je relis la multitude de mots qu’elle a écrits pour moi sur mon carnet, afin que je puisse les utiliser en toute occasion. En plus, elle m’a appris à tricoter, ce qui a fait de moi un sujet de plaisanterie pour tout le wagon. Toute atteinte à la virilité est mal vue en Russie, c’est un des traits marquants du caractère national et explique sans doute qu’on admette difficilement la « gay pride », même à Moscou pourtant cosmopolite. Si vous ne pouvez le comprendre, le monde russe vous demeurera toujours étranger. De même en Russie, les femmes qui sont intelligentes ont choisi de faire de leurs hommes la « tête » de la famille, se réservant d’en être le « cou » qui oriente cette tête dans la bonne direction.
Autre contact sympathique, celui d’un conducteur de train qui revenait du sanatorium. C’était un colosse d’une soixantaine d’années, haut de 2 mètres avec des mains immenses. A l’époque soviétique, les institutions de santé et de remise en forme pullulaient au bénéfice des cheminots, des militaires, des sidérurgistes, des mineurs, etc. Il en reste beaucoup et elles sont encore gratuites pour les personnels concernés. Il possédait une tablette et m’a fait un cours illustré sur les locomotives et les trains. Je n’y ai rien compris, mais ses photos étaient belles. Il transportait une fleur dans un pot et je lui ai demandé. «C’est pour votre femme ? », « Non, c’est pour maman », m’a t-il répondu, m’obligeant ce faisant à l’imaginer en grand garçon. C’est aussi, cela la Russie.
C’est ainsi qu’au milieu du continent euro-asiatique, quelque part en Sibérie, déjà pas très loin du lac Baïkal, à bord du train qui m’emmène à travers l’espace et le temps dans la nuit hivernale toujours plus vers l’est, une compréhension floue et timide qui ressemblerait plus à un ressenti commence à se dessiner dans ma tête, non, plutôt dans mon coeur sur ce qu’est la Russie…
Hiver 2015